10. Le harcèlement psychologique au travail
Des normes inscrites dans la Loi sur les normes du travail (LNT) protègent le droit des travailleuses et des travailleurs à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique (ci-après nommé harcèlement). Ces normes s’appliquent à toutes les personnes salariées, syndiquées ou non, ainsi qu’à certaines catégories d’emploi normalement exclues de la LNT, comme les cadres supérieurs et les travailleuses et travailleurs de la construction. Le harcèlement peut provenir autant d’un supérieur hiérarchique que d’un collègue ou d’un tiers (client, fournisseur, usager, visiteur, etc.). Ces dispositions établissent également:
- la définition du harcèlement psychologique;
- les obligations des employeurs;
- une procédure de recours à la disposition des victimes ;
- les réparations prévues par le recours.
10.1 Les situations donnant droit au recours
Ce qui constitue du harcèlement psychologique
La Loi sur les normes du travail définit ainsi le harcèlement (art. 81.18) :
« Pour l’application de la présente loi, on entend par harcèlement psychologique une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »
Les éléments de cette définition sont généralement regroupés sous quatre critères qui doivent être présents pour que le harcèlement psychologique soit reconnu :
a) une conduite vexatoire ayant un caractère de répétition ou de gravité,
b) un caractère hostile ou non désiré ;
c) une atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique ;
d) un milieu de travail néfaste.
Examinons en détail chacun de ces éléments.
Le premier élément de cette définition est la conduite vexatoire. Qu’est-ce donc qu’une conduite vexatoire?
C’est le fait d’abuser de quelqu’un, de maltraiter une personne, de la blesser dans son amour-propre, de la traiter d’une manière humiliante ou offensante, de l’isoler ou de l’ignorer.
La loi précise que les gestes à caractère sexuel peuvent être considérés comme faisant partie des conduites vexatoires. Il peut s’agir de blagues sexistes, d’avances, de matériel pornographique, de remarques sur le physique, etc.
Cette conduite vexatoire doit se manifester par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés. On reconnaît par cette notion de répétition que des événements peuvent sembler insignifiants ou anodins lorsqu’ils sont considérés isolément, mais qu’ils constituent du harcèlement lorsqu’ils sont considérés dans leur ensemble. Le harcèlement est un processus très souvent constitué d’une succession d’attaques subtiles qui s’ajoutent les unes aux autres. C’est alors l’effet cumulatif qui est pris en compte (ex. : des taquineries qui indisposent une personne en particulier et qui, par leur répétition, finissent par la blesser).
La loi reconnaît toutefois qu’une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle produit un effet nocif continu sur la personne salariée. Dans ce cas, l’effet nocif doit durer un certain temps.
Les comportements, les paroles, les actes ou les gestes qui constituent la conduite vexatoire doivent être hostiles ou non désirés. Il n’est pas nécessaire de répondre aux deux critères : c’est l’un ou l’autre. Un comportement hostile est celui de quelqu’un qui se conduit de façon belliqueuse, défavorable ou menaçante. Quant au comportement non désiré, il est important d’exprimer clairement, verbalement ou par écrit son refus ou sa désapprobation face aux paroles, actes ou gestes (voir la sous-section 10.4, « Conseils pratiques »). Il est aussi utile de le faire car, dans certains cas, cela peut faire cesser le comportement reproché. Toutefois, cela ne veut pas dire que si vous ne l’avez pas fait, vous ne pourrez pas prouver que le comportement n’était pas désiré. Le refus peut parfois être implicite, faible, exprimé par le langage corporel ou une tolérance ennuyée (ex. : une personne timide exprime son désaccord de manière plus faible et implicite). Cependant, les faits reprochés devront pouvoir être objectivement perçus comme non désirables.
**Attention ! Vous n’avez pas à prouver que la personne qui vous harcèle a l’intention de vous nuire ou de vous causer du tort. Ce qui importe, c’est l’impact qu’a la conduite vexatoire sur vous (voir c) et d)).
La travailleuse ou le travailleur doit aussi prouver que le harcèlement a porté atteinte à sa dignité ou à son intégrité physique ou psychologique.
L’atteinte à la dignité peut prendre la forme d’un manque de respect, d’une atteinte à l’estime de soi, à son amour-propre. Ce peut être aussi un traitement discriminatoire, l’isolement, la marginalisation, la dévalorisation.
La dignité renvoie aux dimensions fondamentales et intrinsèques de l’être humain. Le droit à la protection de sa dignité est un des droits fondamentaux inclus dans la Charte des droits et libertés de la personne. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des conséquences permanentes pour prouver qu’il y a eu atteinte à votre dignité ; ces conséquences peuvent être temporaires.
L’atteinte à l’intégrité psychologique ou physique doit laisser des marques ou avoir des conséquences qui dépassent un certain seuil, et occasionner un déséquilibre physique, psychologique ou émotif plus que passager, sans qu’il soit nécessaire que ce soit permanent. Elle doit avoir laissé des séquelles et la victime doit être affectée de manière un peu plus permanente (que pour l’atteinte à la dignité).
Encore une fois, vous n’avez pas à prouver une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique si vous avez réussi à prouver une atteinte à la dignité ou vice versa. Si vous pouvez prouver les deux, c’est quand même mieux.
**Attention ! En règle générale, il n’est pas essentiel de faire la preuve d’une atteinte à la santé, mais ce peut être indispensable dans certains cas, par exemple, si vous voulez réclamer des frais médicaux ou le paiement du salaire perdu pendant votre absence pour maladie. Ce faisant, vous pourriez toutefois réduire les pouvoirs du commissaire s’il estime probable que vous avez subi une lésion professionnelle (voir
Le harcèlement psychologique doit entraîner, pour la personne salariée, un milieu de travail néfaste. Qu’est-ce qu’un milieu de travail néfaste? Il s’agit d’un milieu de travail nuisible, psychologiquement défavorable, dommageable ou qui crée du tort.
**Attention ! Le harcèlement sexuel et les autres formes de harcèlement discriminatoire (voir le chapitre III, « Les droits et libertés de la personne ») sont considérés comme du harcèlement psychologique au sens de la Loi sur les normes du travail. Si vous subissez ce type de harcèlement, vous pouvez donc porter plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec. Vous n’aurez pas à remplir les quatre critères de la même façon. Par exemple, vous n’aurez pas à démontrer que vous avez exprimé clairement votre refus dans un cas de harcèlement sexuel. Informez-vous auprès d’un organisme spécialisé en droits et libertés de la personne.
Voici, en terminant, quelques exemples de conduite qui peuvent constituer du harcèlement psychologique :
- Isoler une personne : ne plus lui adresser la parole en public, ne plus lui parler, nier sa présence, l’éloigner, la priver des moyens de communication (téléphone, courrier, courriel, etc.), décourager, voire empêcher, les autres de lui adresser la parole.
- Empêcher la personne de s’exprimer : l’interrompre sans cesse, lui interdire de parler aux autres, limiter ses possibilités de s’exprimer.
- Déconsidérer la personne : répandre des rumeurs à son égard, la ridiculiser, l’humilier, mettre en cause ses convictions ou sa vie privée, l’injurier ou la harceler sexuellement.
- Discréditer la personne : ne plus lui donner de tâches à accomplir, l’obliger à réaliser des actions dévalorisantes, absurdes ou nettement inférieures à ses compétences, la mettre en échec, détruire le travail réalisé, simuler des fautes professionnelles, la dénigrer devant les autres.
- La menacer, l’agresser : hurler, la bousculer, endommager ses biens.
- Déstabiliser la personne : se moquer de ses convictions, de ses goûts, de ses choix politiques, de ses points faibles, faire des allusions désobligeantes sans jamais les expliciter, mettre en doute ses capacités de jugement et de décision;
- Faire des remarques sur le physique d’une personne, poser des questions indiscrètes sur sa vie privée, des frôlements, des blagues sexistes ou racistes, des regards, des bruits (sifflements ou autres).
**Attention ! Rappelez-vous que ces faits ne doivent pas être analysés de façon isolée : il faut plutôt les regarder dans leur ensemble. Il faut également prendre à la fois le point de vue subjectif et objectif de la « victime raisonnable », c’est-à-dire le point de vue d’une personne raisonnable, normalement diligente et prudente, avec les mêmes caractéristiques que la victime et qui, placée dans les mêmes circonstances, estimerait qu’elle subit une conduite vexatoire.
Ce qui ne constitue pas du harcèlement
Maintenant que nous avons vu comment la loi définit le harcèlement psychologique, il importe de préciser ce qui ne constitue pas du harcèlement. Il ne faut pas confondre le harcèlement au sens de la Loi sur les normes du travail avec :
a) l’exercice normal du droit de gérance de l’employeur ou
b) certaines situations pénibles qui peuvent survenir au travail.
Malheureusement, le recours contre le harcèlement psychologique ne protège pas contre tous les comportements abusifs ou injustes.
Juridiquement, l’employeur possède un pouvoir de surveillance, de supervision et de contrôle des lieux et de la qualité du travail. Il peut donc évaluer les personnes à son emploi. L’employeur possède également un pouvoir disciplinaire qu’il peut exercer en cas de lacunes dans la qualité du travail, par exemple lorsque le rendement est insuffisant, ou lorsque les consignes ou les règlements en vigueur dans l’entreprise ne sont pas respectés.
L’employeur dispose enfin du pouvoir de décider de l’organisation du travail dans l’entreprise. Cela veut dire qu’il peut changer les façons de faire, imposer un cadre de travail, fixer seul les objectifs à atteindre, les rapports à produire, etc. et même modifier les tâches dans certains cas. Par contre, si les changements sont substantiels, qu’ils ne visent qu’une personne et que celle-ci est pénalisée par ces changements, il pourrait s’agir d’un congédiement déguisé (voir « La démission forcée » dans la section 9.1).
Si certaines exigences de l’employeur apparaissent exagérées, ses décisions illogiques ou même néfastes pour l’entreprise, elles ne sont pas nécessairement interdites par nos lois. La surcharge de travail et les conditions stressantes qui en découlent ne constituent pas nécessairement du harcèlement psychologique, mais elles peuvent être un facteur de risque pour son développement. Cependant, certains gestes posés dans l’exercice du droit de gérance peuvent constituer du harcèlement s’ils sont posés de façon arbitraire, abusive, discriminatoire, à des fins détournées ou en dehors des conditions normales de travail.
Le Code civil du Québec interdit également à l’employeur d’user de ses pouvoirs de façon purement abusive ou à des fins détournées. La Charte des droits et libertés de la personne sanctionne quant à elle la discrimination exercée selon certains motifs (voir le chapitre III). Les menaces de coups ou de blessures sont punissables en vertu du Code criminel, à plus forte raison si on passe de la parole aux gestes. Enfin, si les exigences de l’employeur menacent votre santé et votre sécurité, qu’il s’agisse ou non de harcèlement psychologique, vous pourriez avoir des recours en vertu des lois en matière de santé et sécurité au travail auprès de la section santé et sécurité de la CNESST ( anciennement CSST).
Toutes les situations pénibles ne sont pas nécessairement du harcèlement psychologique au sens de la LNT.
Voici des situations qui peuvent s’apparenter à du harcèlement, mais qui n’en sont pas :
- Des rapports sociaux ou des caractères difficiles : toutes les conduites, paroles et gestes courants qui, en dépit de leur caractère douteux ou de leur mauvais goût, demeurent tolérables socialement ne sont pas nécessairement du harcèlement psychologique. Cependant, ces conduites peuvent le devenir si elles portent atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique d’une personne et qu’elles continuent malgré sa demande que cela cesse.
- Des situations conflictuelles : on parle de situations conflictuelles quand la conduite des deux parties est centrée sur l’objet du litige, sur une solution à trouver à un problème. Le conflit est généralement nommé plutôt que non dit ou dissimulé. C’est la dépréciation d’une personne qui permet de distinguer le harcèlement psychologique d’une situation conflictuelle.
- Les conflits de personnalité : il y aura harcèlement seulement si une personne adopte une conduite vexatoire répétée et hostile qui met en cause l’intégrité et la dignité de l’autre personne.
10.2 Les droits des personnes salariées et les obligations des employeurs (art. 81.19)
La loi stipule que « tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique ». Elle précise que «l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser». De plus, depuis le 1er janvier 2019, l’employeur a l’obligation de mettre en place une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes.
Le droit des personnes salariées à un milieu de travail exempt de harcèlement est donc clairement établi par la loi. Ce droit renvoie à deux obligations imposées à l’employeur : la première est rattachée à la prévention du harcèlement, la deuxième à la correction de la situation.
En ce qui concerne la prévention, l’employeur doit prendre les moyens raisonnables afin de prévenir le harcèlement. Cela signifie qu’un employeur peut avoir rempli ses obligations de prévention sans que cela garantisse une absence totale de harcèlement dans son milieu de travail. Les employeurs ont ici ce qu’on appelle une obligation de moyens et non une obligation de résultats.
En ce qui concerne la correction, l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement, donc corriger la situation lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance. Cela signifie qu’il doit intervenir et régler la situation de façon diligente et adéquate lorsqu’une situation de harcèlement est portée à sa connaissance.
**Attention ! L’employeur est responsable du comportement des personnes qui sont à son emploi et il est également tenu de protéger ses travailleuses et travailleurs des comportements harcelants de tiers (fournisseurs, clients, usagers, visiteurs, etc.). Pour cette raison, c’est contre lui et non contre la personne qui harcèle que la plainte est déposée. Toutefois, vous pourriez peut-être poursuivre la personne qui vous harcèle devant les tribunaux de droit commun (art. 1457 et suivants du Code civil du Québec). Pour en savoir plus, voir le chapitre II, « Le Code civil du Québec et le travail ».
L’employeur devra démontrer qu’il répond à ses obligations de prévention et de correction de manière satisfaisante. La Loi sur les normes du travail (LNT) exige maintenant que l’employeur mette en place une politique anti-harcèlement qui devra être complète, adéquatement appliquée et connue du personnel. Cette politique devrait indiquer clairement quelles sont les personnes qu’elle protège et quels sont les rôles et les responsabilités de chacune et chacun. Elle devrait comprendre tous les éléments suivants :
- un engagement ferme, connu et répété régulièrement par l’employeur de prévenir ou de faire cesser le harcèlement. Cet engagement peut être inscrit dans une déclaration remise ou transmise à tout le personnel et affichée sur les lieux du travail ;
- des mécanismes internes connus, des directives explicites qui lui permettent d’être informé des situations de harcèlement en toute discrétion et en toute sécurité pour la victime de harcèlement ;
- les démarches nécessaires pour mettre sur pied rapidement une enquête objective et efficace lorsque du harcèlement psychologique est porté à sa connaissance;
- un volet spécifique au harcèlement qui se manifeste par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel.
De plus, cette politique pourrait aussi prévoir :
- l’obligation d’intervenir en ayant recours à des mesures disciplinaires vis-à-vis la ou les personnes qui harcèlent, ou à d’autres mesures administratives appropriées ;
- la possibilité d’offrir des mesures de soutien à la victime, et parfois même aux témoins ;
- le moment où cette politique sera mise à jour ou révisée ;
- une formation sur le harcèlement pour tout le personnel.
L’obligation qui est faite à l’employeur de faire cesser le harcèlement repose sur le fait que cette situation a été portée à sa connaissance. Si l’employeur peut prouver que ni lui ni aucune des personnes qui le représentent (directeur, directrice, gérante, contremaître) n’ont été mis au courant du problème de harcèlement malgré l’existence de mécanismes internes connus, vous pourriez perdre votre recours même si vous avez réussi à prouver que vous avez réellement été victime de harcèlement. Ce pourrait être aussi le cas si, une fois mis au courant, l’employeur a fait cesser le harcèlement. Par contre, vous pourriez alors envisager de poursuivre la personne qui vous harcèle devant les tribunaux de droit commun. Remarquez que si cette personne est l’employeur et que le harcèlement a continué après que vous lui ayez demandé d’arrêter, la plainte pourrait être retenue même si le harcèlement a cessé par la suite.
Vous avez l’obligation d’utiliser le mécanisme interne prévu dans la politique anti-harcèlement de votre entreprise puisque vous devez tenter de régler le problème afin de mitiger vos dommages. Vous pourriez avoir le droit de ne pas l’utiliser s’il ne s’agit pas d’un processus indépendant, objectif et transparent, par exemple si la personne qui vous harcèle est celle qui doit gérer les plaintes relatives au harcèlement. S’il n’y a pas de mécanismes internes et que l’employeur refuse d’adopter ou de rendre disponible une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, vous pouvez déposer une plainte administrative auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) afin de l’obliger à respecter cette obligation. (voir la sous-section 11.2 « Les plaintes pécuniaires et administratives »). Dans une telle situation, vous pouvez aussi informer votre employeur de votre problème de harcèlement, de préférence par écrit pour en garder une preuve. Faites-le en respectant la hiérarchie de l’entreprise et en montant d’un échelon si la situation ne se règle pas. Il est conseillé de procéder de la même façon si c’est l’employeur lui-même (ou une personne qui le représente) qui vous harcèle, toujours pour des questions de preuves (voir la sous-section 10.4 « Conseils pratiques »). Toute personne peut informer l’employeur d’un problème de harcèlement ; l’information ne doit pas nécessairement provenir de la victime.
En clair : l’ignorance de l’employeur à l’égard d’une situation précise ne le dégage pas nécessairement de ses responsabilités. L’employeur doit faire la preuve qu’il a mis en place des mécanismes connus et efficaces qui auraient dû lui permettre d’être informé des situations de harcèlement. Il ne doit pas non plus faire de l’aveuglement volontaire, c’est-à-dire faire semblant qu’il n’est pas au courant.
**Attention ! Si vous êtes victime de harcèlement sexuel, vous n’avez pas l’obligation d’en parler à un employeur-harceleur quoique cela soit préférable.
10.3 Les cas particuliers
Les personnes syndiquées sont couvertes par les dispositions de la loi en matière de harcèlement, puisque ces dispositions sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective (art. 81.20 de la LNT). La procédure de recours qui doit alors être suivie est toutefois celle prévue à la convention collective, soit la procédure de grief et d’arbitrage, sous la juridiction de l’arbitre de grief. Les personnes qui sont couvertes par une convention collective, mais qui n’ont pas le droit de déposer un grief, peuvent se prévaloir du recours prévu à la Loi sur les normes du travail et déposer une plainte contre le harcèlement à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Notez que certains syndicats pourraient accepter de les assister et de les représenter lors des médiations et de l’audience devant le Tribunal administratif du travail (TAT).
Le délai prévu dans la convention pour déposer un grief ne peut être inférieur à 2 ans de la dernière manifestation de harcèlement (art. 123.7 de la LNT), mais une convention collective pourrait prévoir un délai plus long. En tout temps, avant que le dossier parvienne à l’arbitre de grief, une demande conjointe des parties peut être présentée à la ou au ministre du Travail en vue de nommer une personne qui entreprendra une médiation. S’il n’y a pas d’entente entre les parties, l’arbitre entendra la cause et rendra une décision. Il dispose à cet égard des mêmes pouvoirs que ceux attribués au Tribunal administratif du travail (TAT) pour ce type de plainte (art. 123.15 et 123.16 de la LNT).
Vérifiez s’il existe dans votre entreprise un mécanisme interne visant à traiter les plaintes de harcèlement. Le syndicat devrait pouvoir vous en informer. Vous devez toutefois user de prudence et vous assurer que l’utilisation de la procédure interne n’aura pas pour conséquence le rejet du grief pour la simple raison que le délai pour déposer un grief est dépassé. Si vous êtes sur le point de dépasser le délai prévu dans la convention collective et que la procédure interne n’est pas terminée, n’hésitez pas à demander à votre syndicat de déposer un grief.
Sachez également que les personnes victimes de harcèlement qui estiment que leur syndicat les représente mal ou pour lesquelles le syndicat refuse de déposer un grief, peuvent porter plainte pour manquement au devoir de représentation en vertu du Code du travail du Québec.
Les personnes employées par la fonction publique du Québec, qui ne sont pas régies par une convention collective et qui sont couvertes par la Loi sur la fonction publique du Québec, doivent exercer leur recours devant la Commission de la fonction publique (art. 81.20 de la LNT), selon les règles de procédures établies par cette loi. La Commission de la fonction publique dispose des pouvoirs attribués au Tribunal administratif du travail pour ce type de plainte (art. 123.15 et 123.16 de la LNT).
10.4 Conseils pratiques
Voici quelques conseils qui peuvent vous être utiles si vous avez été victime de harcèlement. N’oubliez pas de consulter également les conseils pratiques du chapitre V !
En premier lieu, réagissez au harcèlement. Les situations de harcèlement se règlent très rarement par elles-mêmes. En l'absence de toute désapprobation, il y a en effet un risque élevé que la personne harcelante soit encouragée dans ses comportements et que ceux-ci s'aggravent. Plus tôt vous réagirez, meilleures seront vos chances de renverser la vapeur.
Vous devriez donc en parler à la personne qui vous harcèle pour lui demander qu’elle cesse son comportement harcelant. Dans certains cas, cela peut faire cesser le comportement reproché. Vous devriez le faire de façon brève et polie, en vous limitant à exprimer calmement mais clairement le fait que ces paroles ou gestes ne sont pas désirés et qu’ils vous semblent inappropriés dans les circonstances. Évitez toute menace, toute injure ou tout propos choc qui pourrait vous être reproché ou être interprété comme un manque de respect envers un supérieur, un manque de loyauté envers l'entreprise ou une exagération des faits.
Si le harcèlement continue, réagissez de nouveau, en utilisant les mécanismes internes en place et demandez d’obtenir une preuve du dépôt de votre plainte. Depuis le 1er janvier 2019, l’employeur a l’obligation d’avoir en place une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes. Sachez qu’en l’absence d’une telle politique, vous pouvez déposer une plainte administrative auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) afin d’obliger votre employeur à respecter cette obligation. (voir la sous-section 11.2 « Les plaintes pécuniaires et administratives »). Si aucun mécanisme interne n’est prévu, parlez-en tout de même à votre superviseur, à la personne responsable des ressources humaines ou à une autre personne en situation de pouvoir hiérarchique, par écrit, tout en respectant les consignes ci-dessus, et conservez une copie.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 10, si on peut prouver que le comportement est non désiré, on n’a plus à prouver qu’il est hostile. De plus, vous aurez besoin de prouver que vous avez avisé l’employeur, ou une personne qui le représente, de la situation de harcèlement. Notez que si vous ne l’avez pas fait avant de déposer une plainte à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, mais que le harcèlement a continué après le dépôt de la plainte, l’employeur ne pourra pas dire qu’il n’était pas au courant.
Le fait de réagir au harcèlement peut également vous aider à obtenir des prestations d’assurance-emploi, si vous devez quitter votre emploi à cause de harcèlement psychologique. Vous devrez en effet démontrer que vous avez fait tout ce que vous pouviez faire pour régler la situation : en utilisant le mécanisme de traitement des plaintes prévu par votre employeur ou en en parlant à votre supérieur immédiat, puis en remontant dans la hiérarchie de l’entreprise si la situation perdure, et finalement, en cherchant un emploi avant de partir (voir aussi « La démission forcée » dans la section 9.1). Faire valoir ses droits est également très important et il faut pour cela exercer ses recours auprès de la section normes ou de la section santé et sécurité de la CNESST et joindre une copie de sa plainte ou de sa réclamation à la demande d’assurance-emploi. Informez-vous auprès d’un groupe d’appui spécialisé.
Si vous décidez d’enregistrer les propos de la personne qui vous harcèle, sachez que vous ne pouvez enregistrer que les conversations auxquelles vous participez. Aussi, il vaut mieux être très discret et ne pas vous faire prendre. Surtout, ne faites pas écouter ces enregistrements à d’autres personnes que celle qui est responsable de l’enquête ou celle qui vous représente.
Trouvez du soutien. Ce soutien peut venir de la famille, de l'entourage, de collègues de travail ou de ressources professionnelles, comme des psychologues ou des travailleuses sociales et travailleurs sociaux, par exemple. Parler de ce que vous vivez peut vous libérer de certaines tensions ou frustrations et être d'un grand réconfort. De plus, cela peut vous permettre de vérifier la justesse de vos perceptions et de trouver des solutions que vous n'auriez pas envisagées. Si vous en parlez à des collègues, évitez toutefois de tenir des propos qui pourraient être perçus comme une atteinte à la réputation de la personne qui vous harcèle.
Vérifiez si des collègues de travail sont également victimes de harcèlement. C'est fréquemment le cas. Prenez en note leurs noms et leurs coordonnées. Voyez si ces personnes sont prêtes à porter plainte et à agir pour que les choses changent. Prouver que la personne qui harcèle se comporte de la même manière envers quelqu’un d’autre peut être utile, surtout s’il n’y a pas de témoins. Toutefois, si tout le monde est harcelé par la même personne, le TAT risque de juger qu’il s’agit plutôt de relations de travail difficiles que de harcèlement psychologique, qui cible généralement une personne en particulier.
Évitez de démissionner. En effet, si vous le faites, vous risquez de perdre certains droits et recours prévus dans la LNT. Vous pourriez aussi perdre votre droit à des prestations d’assurance-emploi (assurance-chômage). Rien ne vous empêche toutefois de chercher un emploi ailleurs (n’oubliez pas que vous devez mitiger vos dommages) et de démissionner si vous en trouvez un. La plainte continuera d’être traitée mais le montant du salaire perdu que vous pourrez récupérer tiendra compte du salaire gagné avec le nouvel emploi. Toutefois, si vous avez déposé une réclamation à la section santé et sécurité de la CNESST, informez-vous d'abord de l'impact d'une démission.
Si le harcèlement psychologique vous rend malade, consultez un médecin et prenez un congé de maladie plutôt que de démissionner. Si le harcèlement a affecté votre santé physique ou psychologique, il pourrait également s'avérer important de faire une réclamation à la section santé et sécurité de la CNESST, même si vous ne savez pas si elle sera acceptée. Conservez votre plainte à la section normes de la CNESST.
Si vous devez démissionner parce que vous n’en pouvez plus, écrivez une lettre à l’employeur expliquant que le harcèlement psychologique dont vous êtes victime vous force à démissionner (voir la section 9.1, « La démission»).
Dans tous les cas, il vaudrait mieux vous informer sur vos droits avant de remettre votre démission. Si vous pensez démissionner, contactez rapidement Au bas de l’échelle et un groupe d’appui en matière d’assurance-chômage.